Quelques semaines après la sortie de son livre « Je vous laisse juges » (1), le magistrat nordiste Luc Frémiot a accepté de répondre aux questions de Bulles de Livres. Entretien.
Bulles de Livres : Comment vous est venue l’envie, l’idée de rédiger ce livre ?
Luc Frémiot : En fait, c’est assez drôle en y repensant. A quelques jours d’intervalles j’ai été contacté par deux éditeurs différents. Le premier souhaitait que j’écrive, avec un journaliste, un livre sur mon action à propos des violences conjugales dans la région. J’ai réfléchi. Mais, comme je préfère écrire seul, j’ai décliné. Les éditions Michel Lafon m’ont contacté à leur tour. Là, c’était plus clair. Ils m’ont donné carte blanche pour écrire sur mon parcours. Au départ, j’étais réservé, un peu réticent sur l’idée. Finalement, j’ai pensé que c’était une formidable possibilité de communiquer avec le public. Le système judiciaire communique tellement peu. Sauf quand c’est sur des faits divers précis. Et, même là dessus, on cherche à en dire le moins possible. Alors, j’ai commencé à écrire petit à petit. J’ai écrit ce livre seul, durant quatre mois.
BdL : Dans le livre, suite à une interview dans le quotidien régional « Nord Eclair », vous évoquez des retours venant du ministère de la Justice pour vous signifier qu’ils désapprouvent globalement vos propos. Qu’en a t il été suite à ce livre ? La chancellerie vous a t elle contacté ?
L.F. : Pas cette fois-ci. Je n’ai pas eu de contact avec le ministère suite à la parution du livre. Par contre, j’ai été agréablement surpris de recevoir beaucoup de retours positifs que ce soit de confrères magistrats ou d’avocats. Cela fait plaisir. Je n’avais aucune idée de la réaction du corps, de la profession. Je n’écris pas pour être aimé. J’ai écrit ce que je voulais.
BdL : Vous êtes un magistrat expérimenté. Vous avez été l’avocat général sur de très nombreux procès de cour d’assises. Y’en a t il un qui vous a particulièrement marqué ? Une situation, un acte criminel qui vous ait ému plus que d’autres affaires ?
L.F. : Je ne fais désormais plus que des procès d’assises ces dernières années. Chaque dossier pénal est particulier et note une grande détresse psychologique ou sociale. Chaque affaire me touche. Mais, le procès des frères Jourdain reste marquant. J’ai longtemps vécu sur la côte d’Opale. A chaque fois que je passe près des lieux des faits, je repense à ces filles. Elles étaient heureuses. Elles étaient habillées de vêtements que leurs mamans avaient mis des semaines à confectionner. Eux étaient là en maraude. Ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Jamais. (2)
BdL : Quels conseils donneriez vous aujourd’hui à un jeune étudiant en droit qui hésite à prendre la voie de la magistrature ou l’école d’avocats ? Quelles différences pourriez-vous faire entre les deux professions ?
L.F. : A notre époque, les étudiants tentent tous les concours, les uns après les autres. Avocat et magistrat sont finalement deux professions assez proches et assez différentes à la fois. Un étudiant, en droit encore plus, doit être ouvert sur toutes les professions. Il faut savoir se remettre en cause tout le temps. Personnellement, je me remets en cause à chaque procès. Cela me permet de rester très libre…
(2) : Les frères Jean-Louis et Jean Michel Jourdain ont été condamnés en octobre 2000 pour le viol et le meurtre de quatre jeunes femmes nordistes le 11 février 1997 sur une plage de la commune de Sainte-Cécile.
http://www.liberation.fr/societe/2000/10/28/la-perpetuite-pour-les-freres-jourdain_342280